Ma première fois

Bon je vous attire avec un titre affriolant mais je vais juste vous parler de ma première fois où je travaille de nuit.  Ma nuit en enfer à l’EHPAD. La nuit, il y a une aide soignante par service et pas d’infirmière.

20h30: transmission. Madame Truc a chuté elle est à l’hôpital. Papi qui était parti aux urgences est revenu car ils ne veulent pas le prendre en charge. Pas grand chose dans le service. Par contre, au service d’en dessous, il y a un monsieur qui est revenu de l’hôpital, son état est critique. Sa famille sait qu’il va bientôt décéder. Le service d’hospitalisation à domicile s’en occupe, c’est du soin palliatif.

21h00: on fait le tour des médicaments : il y a des erreurs dans la mallette. Je me rends compte de la responsabilité de l’infirmière qui prépare la mallette des aides soignantes. L’erreur met sérieusement dans l’embarras l’AS.

J’apprends les habitudes des patients. J’allais fermer la porte d’un patiente, je me suis pris une salve d’insultes. Elle qui n’est d’habitude gentille qu’avec moi se lâche un peu.

21h30: Une fois le tour des médicaments faits, on fait le tour des changes. Moi qui ait passé la journée à changer les couches de caca de mon fils qui a la gastro, c’est reparti pour un tour des couches de caca la nuit. Super ! (j’ai quand même envie de balancer mon badge de Forlax’s leader (copyright déposé par Philippe)).

23h: on est en train de terminer notre tour quand la veilleuse de l’autre service nous demande de l’aide avec un papi récalcitrant au change. On termine ce que l’on fait et on arrive à l’autre service.

23h15: Papi fait de la résistance au change mais pas seulement, il s’est un peu « barbouillé de caca », les draps sont en l’air. Bref on se dit qu’à trois on va bien y arriver. La galère commence, on arrive tant bien que mal à le sortir du lit, à le nettoyer, changer les draps. Mais pour mettre la protection il s’énerve, je me prends une pêche dans l’épaule. ( pêche = coup de poing) Même pas mal ! A force de persuasion, il est au propre dans son lit. « Bonne nuit ! »

Là très naïvement je me dis que l’on va avoir un peu de temps devant nous et j’ai amené des feuilles pour me faire une démarche de soins.

Je préfère prévenir ici que le récit qui suit n’est pas facile à lire, comme il m’a été difficile à vivre et à écrire.

23h40: on se dit qu’on pourrait aller voir le monsieur qui était mal en point puisqu’on est dans son service. Bouche ouverte, pas respiration, pas de mouvement, pas de pouls. Nous ne sommes pas médecin, nous ne pouvons pas faire Le constat qu’il est décédé mais on le voit bien quand même.  Et là grosse discussion : que faire ? On commence par appeler le 15 (c’est dans la procédure à faire en cas d’arrêt respiratoire): « on vous envoie un médecin demain à 8h pour constater le décès « . On est censé faire une réanimation cardio repiratoire jusque l’arrivée du médecin. Évidemment, 8h de réanimation ça semble complètement incohérent. Mais on se demande si on doit prévenir la famille et que dire ? Peut on dire : votre mari/père est décédé alors qu’aucun médecin n’a fait le constat de décès ? Doit on dire comme le veut la procédure : votre mari/père SEMBLE décédé ce qui laisserait la part au doute qu’il ne le serait peut être pas ? On cherche dans les trans s’il y a une information sur la personne à prévenir en cas de décès: rien. La personne de confiance : c’est sa femme qui a plus de 90 ans ( et dont on n’a pas les coordonnées) et qui vit seule. Peut on appeler une femme de cet âge pour lui annoncer le décès de son époux en pleine et raccrocher la laisser seule avec cette annonce. On sait qu’il a des enfants, mais on n’a pas les coordonnées. Et là on se rend compte à quel point le dossier d’entrée a été mal fait. Y a t’il des infos pour savoir si la famille veut être prévenue la nuit ou pas : rien.

Qu’est ce qu’on fait ? On prévient l’HAD (hospitalisation à domicile) pour venir débrancher les perfusions. L’infirmière arrive très vite. Elle nous conseille de prévenir la famille. Par le plus grand des hasards on tombe sur une feuille où il y a le numéro de tel d’une des filles. C’est finalement l’AS de mon service qui appelle  et dit : il est décédé ( et pas semble). La fille est perdue, ne sait pas si elle veut venir maintenant ou demain voir son père. Dans le doute, on décide de faire une toilette rapidement au cas où elle déciderait de venir. Cerise sur le gâteau, ce monsieur était en chambre double. On met un paravent, par chance, l’autre monsieur a un sommeil de plomb. On fait la toilette à deux avec l’AS de mon service. C’est quelque chose de difficile à faire. On l’impression que parfois il bouge, et si on c’était trompé? Il n’y a pas de doutes possibles pourtant. L’infirmière de l’HAD nous confirme d’ailleurs que non, pas doute possible. On termine la toilette avec un peu de parfum et en tentant de caler la bouche avec une serviette. Pour éviter que la bouche ne reste ouverte. On surélève la tête pour éviter les traces sur le visage.

Voilà que faire après. Il est déjà 2h30. On a répondu aux appels de la famille de la personne décédée. Il est temps de faire un tour dans notre service. On va donc dans toutes les chambres pour voir si tout le monde va bien. Ouf,  tout le monde va bien. Mais je n’aime pas cette impression de rentrer dans une chambre alors que la personne est endormie. Parfois le simple fait d’ouvrir la porte pour juste entendre une respiration les réveille. Pourquoi ouvrir la porte de tout le monde, même ceux qui vont très bien? On va voir notre collègue. Tout le monde va bien aussi en bas. On appelle une collègue d’un autre service, tout le monde va bien aussi.

3h00: C’est l’heure du relax. On a le droit à une chaise longue pour se reposer un peu. Je m’allonge, j’ai l’odeur de la chambre du monsieur en bas dans le nez, son image de lui la bouche ouverte dans la tête. J’ai du mal à m’endormir pourtant je suis épuisée. Quelques sonnettes. Je vais voir. Rien de grave.

4h00: j’arrive enfin à me poser sur le relax et à fermer les yeux.

5h00: tour des changes. Plein de caca, encore et toujours. Avec une mamie qui s’en est barbouillé. Change des draps, toilette. « Oh mais madame, vous avez arraché la sonde urinaire? » j’ai mal pour elle. L’AS  de l’autre service nous demande de l’aide pour le même papi récalcitrant de la veille. C’est reparti mais cette fois, je ne veux pas de pêche. Il se laisse plus facilement faire. On va voir le monsieur décédé pour enlever la serviette qui servait à coincer la bouche. La famille risquerait d’être choquée. Problème: du sang a fui de son point d’entrée d’intraveineuse qui avait été enlevé par l’HAD. Les draps sont souillés, sa chemise aussi. On doit le changer. La famille ne peut pas voir ça. Mais là il commence à être sérieusement raide et là je ne me sens pas de le faire. Heureusement , les deux AS comprennent. J’aide quand même à apporter ce dont elles ont besoin.

6h20: Il est temps de préparer les trans. Expliquer la nuit passée.

6h30: Je peux rentrer chez moi . Je mets la musique à fond dans ma voiture. Je chante fort et faux. J’ai besoin de lâcher la pression.

Je vais mettre du temps à dormir quand même. Malgré la fatigue.

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10 commentaires pour Ma première fois

  1. Emelyne dit :

    Comme je peux comprendre ta situation. Mon premier décès en service a été une grosse épreuve : Femme de 85 ans, phase terminale d’un cancer du poumon. Et dire que deux jours avant elle été assise dans son fauteuil a manger de la compote. C’est dur d’avoir a faire face toute seule et attendre juste auprès d’elle que le temps veuille bien faire son « oeuvre ». Surtout quand, dans sa propre famille, on a pas encore vécu de décès.
    Ma 1ère toilette mortuaire était chez un papy agé lui aussi, dans le même service de « Court-Séjour Gériatrique ». Seulement, ce qui m’a le plus choqué, c’est qu’on ne m’ai pas prévenu qu’il été décédé. Je l’ai appris une fois dans la chambre, quand l’IDE m’a alors dit « Si tu te la sent pas, passe la main ». Et instinctivement, je me suis dit que non, il fallait que je le fasse, par respect pour cet homme que je ne connaissais pas, mais pour ce qu’il avait pu être. Pour que ces proches ai une image digne et belle dans ce moment de désespoir. Et d’entendre après la famille nous remerciez de l’attention qu’on lui a porter ça vaux tout l’or du monde !
    Courage, malheureusement la vie réserve de mauvais souvenirs, de mauvais passages. Mais comme j’aime penser dans ses moments là a ma phrase « la vie vaux la peine d’être vécue car on sais qu’un jour elle prend fin ».
    Continue de me raconter ton parcours, j’aimerai tant te connaitre pour parler avec toi de mes tracas d’ESI : )
    Bisous

    • Ce qui est frappant dans les deux décès qu’il y a eu dans la semaine, c’est qu’à chaque fois ça s’est fait quand la famille a dit qu’elle acceptait maintenant que la personne décède.
      Pour notre petite centenaire décédée en début de semaine, le fils la veille disait que ça devenait dur pour lui qui était âgé de gérer encore sa maman. Qu’il ne voulait pas sa mort mais qu’il aimerait bien maintenant avoir une vie paisible. Elle décède dans la nuit.
      Pour le papi, d’hier, dans l’après midi la famille avait accepté que l’on ne soit plus dans la son guérison mais dans le soin palliatif, chose qui était inimaginable pour eux visiblement en début de semaine. Il est décédé quelques heures après. Je ne fais pas de généralités de deux cas, mais je me demande s’ils n’ont pas tenu le coup pour leur famille et relâcher quand ils ont eu l’autorisation de s’éteindre.
      ( n’hésite pas à m’envoyer un message privé pour parler de tes tracas d’ESI. D’autre part, si tu veux un jour écrire un billet sur un évènement, un tracas, ce que tu veux, n’hésite pas à m’en faire part, je pourrais le mettre sur le blog en rédacteur invité ( rédacteur invité: marque déposée par stadire du babyblog. note pour plus tard, lui verser des droits d’auteur))

  2. valoO dit :

    Bonjour 🙂

    Quand mon père était dans sa phase terminale de cancer, il avait eu ses premières pauses respiratoires dans la nuit. Ses soeurs avaient été contactées, puis elles nous avaient contacté au petit matin, à 7 heures. De là, ma soeur et moi avons fait les 4h30 de route pour venir le voir. On est arrivé vers 12H30, puis mon frère est arrivé à son tour, puis ma mère.
    Nous sommes tous restés près de lui jusqu’à ce qu’il nous quitte, vers 15 heures.

    On est persuadé qu’il a attendu que nous soyons tous autour de lui pour partir…

    • Oui il a attendu votre présence.
      A contrario mon beau père, qui lui , je pense, ne voulait pas qu’on le voit malade est décédé le jour où l’on est arrivé pour le voir.

  3. Laelle dit :

    Alors c’était sûr que les points de ponction allaient saigner partout dans le lit. L’infirmière de l’HAD n’a pas été très intelligente de ne faire aucun pansement, il faut réfléchir un peu. Est-ce que la coagulation se fait encore après la mort ? Non, pas vraiment. Je vais te dire, il vaut mieux encore laisser les appareillages dans ce cas là, jusqu’à ce que le « mort » soit pris en charge par un personnel compétent.

    Sinon, mon conseil c’est de placer une compresse pliée en 4 sur le point de ponction et de coller un Tegaderm dessus. C’est encore ce qui dépanne le mieux sur un point de ponction qui saigne en continu comme ça.

  4. Laelle dit :

    l’Urgoderm va s’imbiber de sang donc finir par souiller le vêtement ou les draps, en plus il a tendance à se décoller avec le sang qui coule. Le Tegaderm, même s’il ne fait pas de miracle si ça saigne vraiment beaucoup, colle mieux à la peau et est véritablement hermétique. Normalement ça tient suffisemment correctement jusqu’à être pris en charge par le personnel mortuaire/funéraire. C’est vraiment une bonne astuce dont tu pourras tester l’efficacité en pratique !

  5. mélanie dit :

    pour travailler dans un service de soins palliatifs je confirme qu’il n’est pas rare que les patients partent quand toute la famille est arrivée ou lorsqu’ils lui donnent « l’autorisation » de partir. et a contrario je me souviens d’un patient que son épouse a veillé sans interruption pendant 72h et c’est au moment ou nous l’avons convaincu de prendre un café dans la salle des familles juste à coté qu’il s’est éteint. Coincidence ? Je ne crois pas !

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